Les a priori…
Les mêmes remarques tournent en boucle comme un vieux disque que l’on aimerait ne plus entendre: «mais tu n’as pas peur?», «de nos jours, on ne peut plus faire du stop, le monde est devenu tellement dangereux», ou encore «tu verras le jour où il t’arrivera quelque chose».
Alors non! Je n’ai pas peur, la peur paralyse tellement de gens et cela me fait de la peine pour eux.
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En tant que femme, les critiques sont deux fois plus virulentes et le risque du viol revient sans cesse dans les discussions. Pourtant, il y a plus de risque de faire une bonne rencontre plutôt qu’une mauvaise. Le monde est loin d’être tout blanc, mais il n’est pas tout noir non plus. Il faut retrouver la confiance en la nature humaine.
Tout peut être source de danger, mais ce n’est pas une raison pour arrêter de vivre et se fermer à l’autre. Alors malgré le risque, pourquoi se lancer? Et pourquoi, une fois commencé, est-il difficile de voyager autrement?
Alors pourquoi faire de l’auto-stop?
Pour commencer, faire du stop, c’est se tourner vers les autres.
Faire du stop, c’est avant tout faire des rencontres qui peuvent s’avérer être d’une rare intensité malgré la fugacité de l’instant. Les gens se livrent parfois très facilement à l’inconnu monté au hasard dans leur véhicule qu’ils ne reverront sans doute jamais, et partagent alors leurs pensées les plus personnelles.
Faire du stop, c’est aussi franchir les barrières sociales. Même si on ne s’en rend pas toujours compte, le quotidien nous enferme auprès de personnes qui nous ressemblent. On explore alors d’autres pensées, multiples et parfois en désaccord avec les nôtres. Cette réflexion amène à réfléchir sur soi et à renforcer ou nuancer ses propres croyances.
Faire du stop, c’est également retrouver la foi en la nature humaine. Cela fait du bien de voir qu’il y a tant de gens gentils dans le monde, là où les médias ne mettent en avant que les méchants.
Au-delà de la rencontre, l’auto-stop permet de travailler sur soi, d’apprendre à se connaître et à sortir de sa zone de confiance.
Faire du stop, c’est aller vers les autres sans autre choix que d’accepter de faire confiance. J’aime profondément cela: partir du postulat que cette personne est bonne. Il faut apprendre à recevoir ce qu’elle nous offre, même si nous n’avons rien en retour à lui donner qu’un remerciement et une conversation plus ou moins profonde selon la maîtrise de la langue.
Dans notre société, on veut toujours rendre la pareille, ne pas avoir de dette morale ou financière. J’aime voir les choses sous un autre angle: je pense qu’il faut savoir recevoir et redonner à quelqu’un d’autre, dans une autre situation, pour que cette personne, à son tour, entreprenne de bonnes actions sans arrière-pensée de retour sur investissement. Un monde sain d’entraide.
Faire du stop, c’est aussi prendre le temps et apprendre la patience. Je n’ai jamais attendu plus de deux heures et demie, donc je peux m’estimer chanceuse. Néanmoins, il y a des jours où cela peut être plus difficile que d’autres. Il faut savoir garder le moral et apprendre à ralentir.
Faire du stop, c’est enfin et surtout mettre un frein à la planification de nos vies et aller vers l’inconnu, car on ne sait jamais où le vent nous portera. Et il peut nous porter loin, parfois, si on le laisse nous guider. Je ne me suis jamais sentie aussi libre que sur une route, avec mon petit sac à dos et le pouce en l’air. C’est à la fois excitant et effrayant, car le champ des possibilités défile au rythme des véhicules.
Si je n’ai pas fini de vous convaincre, il faut savoir que faire du stop, c’est aussi pratiquer un mode de voyage plus écologique et économique, un covoiturage de dernière minute. Alors plus aucune raison de ne pas se lancer dans l’aventure!
Ma première expérience en stop!
Pour moi, cela a commencé bien jeune. Petite déjà, j’étais fascinée par le voyage en stop. Il faut dire que j’ai eu la chance d’avoir une maman très altruiste qui s’est toujours arrêtée face aux auto-stoppeurs. En Bretagne, c’était assez courant d’en croiser, alors il y avait souvent des inconnus qui faisaient un bout de chemin à nos côtés, et cela me plaisait.
À 19 ans, avec ma meilleure amie, nous sommes parties deux mois au Royaume-Uni pour améliorer notre anglais. Et quoi de mieux pour pratiquer une langue que de rentrer dans l’intimité des gens? De plus, nous n’avions pas d’argent pour voyager autrement, même si ce n’est pas la raison qui nous a poussées à lever le pouce.
C’est à la sortie du port de Portsmouth, en Angleterre, que nous nous sommes prêtées au jeu pour la première fois et cela s’est révélé quelque peu chaotique. On a attendu près de deux heures avant que deux petites dames ne s’arrêtent. La suite de notre voyage s’est merveilleusement déroulée avec 214 chauffeurs en 2 mois et plein de belles rencontres.
Les différents pays que j’ai traversés
Ma première expérience a été le Royaume-Uni, et quelle expérience incroyable! Mon entourage me disait qu’en France, la même chose serait impossible. Pourtant, nous sommes rentrées de Calais jusqu’au centre de la Bretagne d’une facilité insoupçonnée avec, en prime, une invitation à dormir dans un château.
Ce qui nous a surpris au Royaume-Uni, c’est que les hommes qui s’arrêtaient étaient très bienveillants et très encourageants vis-à-vis de notre projet de stop, tandis que les femmes avaient bien souvent peur pour nous et ne s’arrêtaient que dans le but de nous protéger des hommes.
Ensuite, j’ai continué en Bulgarie, en couple cette fois, pendant trois semaines. Une belle expérience ponctuée de magnifiques rencontres.
Puis la Turquie sur deux mois, le summum de la bienveillance et de la facilité. Nous n’attendions jamais plus de 5 minutes… et encore. Ce qui est beau chez les Turcs, c’est qu’ils aiment profondément communiquer, même si la barrière de la langue nous sépare.
J’ai ensuite entraîné ma maman et mon petit frère de 9 ans sur les routes bretonnes avec pour destination la mer, une expérience familiale magnifique!
Puis, ce fut le tour de la Thaïlande. On nous l’a déconseillé à cause des différences culturelles. Là-bas, il ne faut pas lever le pouce, mais plutôt secouer la main. La solidarité s’est avérée au rendez-vous, mais d’une manière inattendue. Les voitures passaient souvent devant nous sans s’arrêter puis faisaient demi-tour, comme par remords, pour venir nous chercher. Les Thaïs nous ont beaucoup nourris et offert le confort de voyager à l’air libre à l’arrière des pick-ups.
Les belles rencontres!
Voyager en stop, c’est se confronter à des situations, des rencontres et des conversations inattendues.
Parmi les belles rencontres que j’ai pu faire, j’aimerais vous parler de Fayez, un papa égyptien qui élevait seul ses trois enfants en bas âge et qui nous a ouvert ses portes le temps d’une soirée en Écosse.
J’aimerais aussi vous parler d’Abdula, Betül et Ömer, des jeunes Turcs de notre âge avec qui nous avons sillonné la côte lycienne à bord de leur van, passant nos soirées à refaire le monde au bord de la Méditerranée.
Il y a aussi Elliot, un jeune Anglais qui avait peur de nous et qui a finalement eu le courage de venir à notre rencontre et partager un bout de voyage à nos côtés.
Ou encore Pida, qui nous a ramenés chez elle le temps d’une soirée avec sa famille dans les confins de la Thaïlande.
Je ne vais pas vous raconter toutes mes belles aventures, car elles sont trop nombreuses. Mais je tiens à remercier tous ceux qui nous ont aidés et offert un peu d’eux-mêmes le temps d’un trajet ou plus.
Les moments insolites!
Faire du stop, c’est parfois se retrouver dans des situations quelque peu insolites.
Je repense automatiquement à la fois où un jeune Anglais de 16 ans, n’ayant pas le permis de conduire, nous a amenés à destination. Il avait fugué de chez ses parents en volant la voiture après une altercation et comptait dépenser tout le plein d’essence en représailles.
Une autre fois, je me suis retrouvée à visiter une boîte de nuit de bon matin avec notre chauffeur qui en était le directeur. Il nous a même offert une bouteille de rosé! Un autre jour encore, c’est la police anglaise qui nous a pris en auto-stop et nous a aidés à trouver le meilleur endroit pour camper illégalement avant de nous déposer au salon de thé.
Souvent, c’est aussi le moyen de transport qui peut s’avérer insolite, que ce soit un camion de déménagement, un taxi, un Uber, un van, un pick-up, mais aussi la police, une ambulance, un bus scolaire, un facteur ou même un tracteur. Autant de voyages insolites et inoubliables.
Notre belle bouteille de rosé!
À l'arrière d'un pick-up en Thaïlande
Le stop amène des grands moments de solidarité. Quelle n’est pas notre surprise lorsque des gens prennent le temps de s’arrêter alors que l’on marche au bord de la route. Je repense à Steffen en Bulgarie, qui nous a gentiment offert de l’eau et des légumes alors que nous attendions devant sa maison.
Je repense aussi à ce jour en Thaïlande où les voitures se sont toutes arrêtées, une à une, à la sortie d’un village, créant alors une chaîne de solidarité jusqu’à ce qu’une aille au bon endroit.
Le stop amène enfin des rencontres émouvantes. Une mamie qui, au bord de la route, nous invite à prendre le thé et nous parle de sa solitude et de son défunt mari. Une dame qui nous raconte la mort de son fils et sa peine. Ou encore cette jeune Française qui était en route pour se faire avorter sans que personne ne le sache, et qui nous a livré son secret et sa tristesse.
On se retrouve comme gardiens des souvenirs et des peines. On les libère un peu des fardeaux de leurs vies en leur donnant la parole et en partageant à jamais des secrets inavouables.
Une pratique en déclin qu’il faut sauver…
Lors de mon dernier voyage en stop il y a deux mois, en Andalousie, un conducteur assez âgé nous a fait remarquer qu’il y avait bien longtemps qu’il n’avait pas vu d’auto-stoppeurs sur ces routes. Fantômes d’une génération qui s’essouffle et disparaît, les auto-stoppeurs se font de plus en plus rares.
Inventé dans les années 30 et très répandu avec les hippies dans les années 70, le stop n’a cessé de décroître au profit des transports en commun et du covoiturage organisé. L’image noire et insécurisante qui lui colle à la peau n’est pas pour l’aider. Il n’y a guère plus que dans ma chère Bretagne où l’on trouve encore quotidiennement cette pratique.
Alors je lance un appel: osez lever le pouce!!! Sauvons l’entraide, la bienveillance et l’aventure. Pour ma part, je ne suis pas prête d’arrêter et j’ai parfois du mal à concevoir un voyage autrement. Quand je ne pratique pas l’auto-stop pendant un moment, ça me manque terriblement… Car seul lui me redonne foi en l’humanité et m’offre LA liberté.
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Crédit photo: Malène Le Collinet