Le 20 mai 2019, je partais en road trip pour 1 mois du haut de mes 19 ans. Exactement 4 ans plus tard, je prenais la route de l’Abitibi dans l’intention de planter des arbres pour la saison estivale à 7 heures de mon chez-moi, pendant 10 semaines. Une coïncidence non prévue. C’est peut-être bête, mais ça m’aide à savoir que j’ai pris la bonne décision.
Je me sens déboussolé·e et, honnêtement, j’ai peur. Je sais vaguement dans quoi je m’embarque. Mais, je sais que j’ai besoin de partir pour me retrouver.
À lire aussi: Comment organiser efficacement un road trip inoubliable
Le tree planting, qu’est-ce que ça mange en hiver?
Qu’est-ce que c’est, au juste? Personnellement, avant cette année en Abitibi à la Rapide Sept, je n’en avais jamais entendu parler. L’histoire, c’est, qu’entre deux branches, j’ai entendu parler de gens qui étaient payés pour planter des arbres. À ce moment, ma vie n’avait plus aucun sens. Au point où je ne voyais plus trop l’intérêt de continuer.
Je ne pourrais l’expliquer, mais quelque chose en moi, comme une guerrière sur les ruines de sa vie, s’est dit: au point où j’en suis, je n’ai plus rien à perdre (littéralement). C’est ce qui fut le début de ma nouvelle vie (oui, je sais, sur Instagram, on lit souvent: «new era, I’m ready for a new chapter in my life»), mais honnêtement, l’expérience du tree planting, c’est de reconstruire là où la vie a été abattue. Tu te reconstruis à travers chaque arbre planté.
Tree planting, c’est planter des arbres. Mais, c’est plus que juste ça. C’est travailler 50 heures par semaine, 10 heures par jour. Beau temps, mauvais temps (et quand je dis mauvais, c’est très mauvais – s’il y a un orage, je te garantis que personne ne va venir te chercher). Tu plantes le dos penché sans arrêt. Tu marches dans la forêt (déforestée) remplie de trous, de marais, de nids de guêpes, de troncs tombés un peu partout. Bref, la vraie nature, loin de la civilisation.
Ah oui, il ne faut pas oublier les moustiques, accompagnés de mouches noires qui te pourchassent toute la journée. Honnêtement, ce à quoi tu t’attends va être pire x 10 000.
À quoi bon se faire souffrir autant (à part pour l’environnement)?
Pourquoi certaines personnes vont-elles dans ces champs de guerre volontairement et y retournent-elles? Bien sûr, je n’ai pas la réponse ultime, mais le sentiment de dépassement de soi, mental et physique, c’est puissant. Je crois que c’est la première fois de ma vie où je me suis senti·e réellement vivant·e. La surdose de nature, la vie de camp, l’adrénaline et l’argent sont parmi les éléments qui motivent les planteurs.
Planter des arbres, est-ce payant?
Planter des arbres peut être très (TRÈS) payant, chaque arbre planté équivalant entre 8 et 20 sous (en moyenne générale). Par exemple, tu peux aussi gagner 1 000$ par semaine en plantant 1 600 arbres par jour en moyenne… parfois 400 et, d’autres jours, 2 000. La première saison est en général la moins payante, car tu apprends sur le tas et tu manques encore un brin d’assurance (et de pratique)! Après 2-3 saisons, tu peux faire 1 000$ par jour facilement!
Les prix varient énormément en fonction du terrain (est-ce un beau terrain? Un terrain rocheux? Un terrain scarifié? Un sol argileux?). Et, bien sûr, en fonction du type d’arbre planté. Au Québec, nous plantons des épinettes, des pins, des mélèzes et des cèdres. Il peut arriver parfois de planter du peuplier hybride, ou de l’érable, des arbres feuillus.
Un petit arbre (et l'équipement de l'équipe)
Les caps d'acier: des indispensables!
Le vocabulaire d’un·e tree planter
Les sacs et les cassettes
Le type d’arbre que tu as détermine la cassette que tu auras. Une 36? Une 67? Une 113? Justement, c’est quoi une cassette? Ce sont les boîtes que tu vas traîner sur toi pour planter! En fait, tu as deux choix: les sacs ou les cassettes. La plupart des planteurs vont mettre les cassettes de 36 dans les sacs. Tu en mets le plus que tu peux! T’as pas envie de te retrouver au beau milieu de ton terrain sans arbre. Sauf que tu n’as pas envie non plus de te casser la gueule, car tes sacs sont trop lourds.
Donc, selon la profondeur de ton terrain, tu prends le nombre d’arbres logiques pour faire X allers-retours. Les cassettes de 67 et 113 sont généralement gardées dans leur boîte, ce sont des arbres plus petits, donc les mettre dans les sacs risqueraient de les abîmer.
Encore une fois, tu prends X cassettes sur toi dans le but d’être logique dans tes aller-retours. Chaque planteur a ses préférences; planter du 113 demande de planter davantage de cassettes que du 36 pour faire de l’argent, puisque tu es payé·e aux cassettes. Donc, c’est logique de vouloir une cassette de 36 arbres versus 113. Mais, il faut penser que plus le chiffre est petit, plus l’arbre est gros.
Les 36 demande donc de faire de plus gros trous, contrairement aux 113, qui sont la grosseur d’un doigt; il est plus facile de trouver un endroit où les planter. Surtout si tu as un terrain argileux (argileux = béton 🤣), tu n’as pas envie de faire de gros trous. Bref, la meilleure sorte d’arbre dépend grandement du type de terrain que tu auras!
Choisir son micro-site
Planter des arbres, c’est aussi un travail de qualité. Il faut bien choisir son micro-site, c’est-à-dire le type de sol dans lequel tu vas planter ton arbre. Il faut planter dans la terre, pas dans la mousse. Le conseil que j’ai eu, c’est de prendre la terre dans ta main et de faire une boule avec: si elle se tient, c’est bon, si elle se défait, c’est soit de la mousse, des copeaux ou autres… Au début, j’avais besoin de vérifier ma terre, mais au fil de la saison, juste avec la sensation de la pelle qui rentre dans le sol, tu sais si la terre est bonne.
Densité, verticalité, calotte et compactage
Ensuite, la densité, soit la distance qui sépare chacun de tes arbres ou des autres conifères déjà là. Le plus probable que tu auras à planter, c’est aux 2 mètres. Il y a aussi la verticalité de la tige: ton arbre ne doit pas être «tout croche», sinon ta future forêt va pousser avec un style artistique (rires)…
Le truc qu’on m’a donné, c’est, lorsque je fais mon trou, je rentre ma pelle dans le sol verticalement et je tire ma pelle vers moi pour ouvrir le trou. Cette technique va former un trou avec un angle droit, et je n’aurai plus qu’à mettre ma calotte (la terre accrochée à l’arbre, en mots simples) dans le trou et pousser ma calotte sur le côté bien droit.
Maintenant que la verticalité de mon arbre est garantie, il ne me reste plus qu’à donner un coup de pied en face de ce côté vertical en tenant le haut de mon arbre (pour le maintenir vertical). Ce qui va en plus m’assurer d’avoir un bon compactage, pour permettre à mon arbre de bien faire ces racines.
La carotte et l’extracteur
Pour terminer, il y a la profondeur de la carotte. Il est important de ne pas voir la carotte de l’arbre, elle doit être enfouie à égalité avec le sol, ou un peu plus profond (je te dirais que du 36, c’est davantage profond, et le 67-113, c’est à égalité avec la terre, surtout si tu plantes à l’extracteur). C’est quoi un extracteur? C’est l’autre option de la pelle. Pour planter, on creuse un trou, c’est logique. Mais, tu peux aussi utiliser un extracteur: c’est comme une pelle, mais le bout est un cône inversé, soit la forme parfaite pour la compaction de l’arbre.
Bref, voilà les termes du tree planting (il y en avait plus à expliquer que je ne le croyais), mais bien franchement, après une semaine déjà, tu auras pris de l’assurance! Pour voir 100% du métier de tree planter et les conditions possibles, il faudrait 3 saisons, selon les vét (les anciens). La nature à l’état pure, c’est abstrait, ce n’est pas des chemins tout jolis, donc chaque jour, tu devras travailler ton cerveau à comprendre ton nouveau terrain et t’y aventurer, mais le principe de planter demeure le même à travers ces champs de guerre.
Ce travail contribue à réduire les dommages environnementaux. En principe les tree planters plantent des arbres à la suite d’une coupe forestière, d’un incendie de forêt…
Nous participons à l’industrie de la foresterie. Dans un sens, ce n’est pas environnemental, mais qu’adviendraientt nos forêts si personne ne les régénérait après les récoltes forestières? Les tree planters permettent donc de limiter les coupes d’arbres aux terrains dédiés à cet effet.
Next: la vie de camp ☑️
Tout d’abord, prépare ton sac. C’est tout ce que tu auras durant la journée. Apporte beaucoup beaucoup BEAUCOUP d’eau, de la crème solaire, des gants, du ruban adhésif (tu apprendras rapidement à scotcher tes lacets pour ne pas avoir à les rattacher continuellement, et scotcher tes doigts pour prévenir les ampoules.
Une journée typique de travail débute par le petit déjeuner cuisiné par des chefs (bon, honnêtement, je mangeais dans la van, le réveil est assez atroce pour moi).
Ensuite, tu embarques dans le van, un de mes moments préférés, étrangement (prépare-toi, le premier trajet va te donner mal au cœur; certains y ont solidement goûté, mais tu t’y t’habitues, promis). La musique au tapis, les chiens un peu partout, trop de gens par van.
Je viens d’une petite ville près de Montréal et je n’avais pas tellement goûté à la «vraie vie», j’étais une personne de ville… Mais après 3-4 rides, j’ai suivi le groupe et j’ai arrêté de m’attacher. Dit comme ça, ça sonne inconscient, je sais. Mais là-bas, plus creux que creux dans le bois, il y a comme un retour dans le passé. Une insouciance qui nous permet de se libérer de notre anxiété créée par la ville et le déroulement rapide de la société.
Ceinture détachée, bière entre les jambes, musique au fond. Tu ne verras pas ça à Montréal, mais au fin fond du bois? Après tout, on ne croise personne. Puis, ton nom est nommé, c’est à ton tour de débarquer du van et de découvrir ton terrain.
10 heures durant lesquelles tu es seul·e, les défis s’enchaînent, confronté·e à ton envie de t’arrêter, pourchassé·e par les moustiques et les abeilles, le soleil te tape dessus, tes pieds pleins d’ampoules te font souffrir, tes hanches qui supportent tes sacs de planting saignent, tu entends un bruit étrange, tu crains d’apercevoir un ours… Ah, pis monte le son de ta musique, prends une grande inspiration remplie d’air pur, ancre-toi au sol et dépasse-toi, dépasse ton PB (personal best, ton meilleur pointage).
La van revient, tu rejoins le groupe, la vie de camp reprend. L’immédiateté du temps, l’harmonie avec la nature, les repas de groupe, les jeux de cartes, les soirées remplies de rire te permettent d’oublier les difficultés de la journée, et de simplement garder en mémoire ce quelque chose que tu t’es prouvé en étant ici.
La vie de camp
Ma chambre
Mon petit coin bureau
Notre premier hébergement dans une pourvoirie
Si tu as envie de te joindre à la grande famille du tree planting, je t’invite à rejoindre le groupe Facebook King-Kong Re-Forestation. Fais une publication de style CV et plusieurs personnes t’écriront pour te proposer leur équipe! C’est comme ça que j’ai été engagé·e, par Horizon Nord / Outland (les best).
Psssst! Je te conseille d’aller écouter ma vidéo sur mon expérience, les images vont t’immerger dans l’univers du tree planting!
Voir cette publication sur Instagram
Vous aimerez aussi:
- Expatrié en Crète: Un coup de foudre pour l’île grecque aux mille richesses
- Cap-Vert: À la découverte de l’île volcanique de Boa Vista
- Découvrez l’Auberge Val Carroll, le nouvel havre de paix au coeur des Laurentides
- Les Bermudes: Grottes, plages, sites historiques… Tout ce qu’il faut savoir avant votre visite!
- Île de Vancouver: Vivre chez l’habitant en voyage, une expérience qui vous change
Crédit photo: Eli·e Dupuis-Drapeau