Sénégal: Dormir dans le campement de Léontine et vivre une véritable immersion au pays des Bédik

Après une nuit quelque peu spéciale à Wassadou, au bord du fleuve Gambie, rythmée par les aboiements des babouins frappant les bambous, nous avons repris la route en direction de l’extrême Sud-Est du Sénégal, point culminant de notre voyage.

Nous sommes deux familles amies pour la vie, ayant déjà partagé plusieurs beaux périples: nous voilà donc quatre adultes et six enfants dans un van qui sillonne le Sénégal en ces vacances de février 2020.

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Le mystérieux pays Bédik nous attend

Ces contrées frontalières avec la Guinée Bissau et le Mali semblent fascinantes, si loin de la côte Ouest sénégalaise classiquement explorée des touristes. Je suis impatiente de vivre pleinement ce visage si authentique de l’Afrique de l’Ouest.

La chaleur monte, et nous arrivons en début d’après-midi chez Léontine Keita, dans le village de Bandafassi, aux portes du pays Bédik. C’est un campement tout simple, mais très bien arrangé au milieu d’un jardin très agréable, porté à bouts de bras par ce petit bout de femme Bédik tellement moderne dans sa façon d’agir et de penser!

Elle a créé ses petites «chambres d’hôtes» en 1998, puis a chaque année réinvesti son argent gagné pour augmenter le nombre de cases (environ 6) et améliorer le confort: aujourd’hui, nous avons l’eau courante et l’électricité en continu pour la première fois depuis le début du voyage!

Il fait très chaud, on se pose sous le préau, Léontine me montre sa brûlure au pot d’échappement et je lui propose mes soins qu’elle accepte volontiers! On plaisante avec sa jambe coupée et on sympathise d’autant plus vite, on est charmés!

Je vois aussi les brûlures de David, son neveu de deux ans, datant d’une semaine, avec de l’eau bouillante, et je me dis qu’il s’en sort plutôt bien vu son lieu de vie!

Guillaume, un autre neveu lycéen, Bédik lui aussi, nous emmène en fin de journée sur les hauteurs de Bandafassi pour rejoindre le village de Ethiwar au coucher du soleil, notre première incursion magique chez les Bédik.

Après une petite demi-heure de grimpette un peu raide, voilà qu’apparaissent, dans une clairière en contrebas, quelques huttes protégées comme le village d’Astérix!

Nous pénétrons avec timidité et humilité au coeur de ce foyer familial d’une vingtaine de personnes, initiés par Guillaume, qui nous en explique les codes. Le repas est en préparation par la maman et la grand-mère au milieu de la cour.

Nous sommes présentés au «vieux», le chef de famille, puis nous pouvons échanger furtivement avec les autres membres: des petites jumelles sont nées ici il y a peu. La maman porte Denise, un mois, la grand-mère porte sa jumelle, Rosine, dans le dos également, et les aînés Jacqueline (7 ans) et Sylvain (3 ans) – nu comme un vers avec une petite ceinture de gris-gris à la taille et la morve au nez – sont impressionnés de notre présence.

On nous montre leur artisanat, on ne peut que céder à la tentation, les colliers et petites poupées en argile sont très jolis. On se sent tellement privilégiés de pouvoir pénétrer au coeur de cette première famille Bédik, qui vit dans le dénuement le plus total.

On redescend au village à la nuit tombée. Un repas fameux préparé par Léontine et sa soeur nous attend; on se sent déjà très bien dans cette région si reculée du Sénégal, avec ce sentiment naissant de pénétrer dans un univers à part… cette terre inconnue nous ouvre ses portes!

Bienvenus chez les Bédik!

Le lendemain, pour changer, on se lève tôt! La chaleur nous l’impose si l’on veut marcher tant que c’est supportable. C’est un peu le Graal qui nous attend aujourd’hui: notre journée de marche chez les Bédik! Jacques sera notre guide: un jeune Bédik adorable, qui nous introduira auprès des différents chefs et traducteurs.

On arrive en minibus au campement militaire de Patassy: ici, ça ne rigole pas, c’est ambiance commando du Sénégal! Heureusement, les enfants du village sont là pour nous accueillir et nous faire la fête, ils courent comme des fous derrière le véhicule. Les femmes nous attendent évidemment pour nous proposer leurs paniers de colliers et bracelets, en perles d’argile.

On attaque la première montée vers le village d’Andiel, trente minutes de bon dénivelé parmi les pierres alors que le soleil tape déjà bien.

Quelques enfants et femmes descendent à notre rencontre alors qu’ils vont cultiver leurs jardins dans la vallée, je crois qu’on va être attendus là-haut!

Andiel est un village Bédik de 200 habitants environ: nous sommes présentés à Jean-Pierre, le traducteur du village, qui nous installe à l’ombre sous les arbres et sur les rochers, pour nous raconter l’histoire de son peuple.

Le peuple et son histoire

Les Bédik sont arrivés au Sénégal vers le XIe siècle, chassés de la Guinée par l’islamisation que ce peuple animiste refusait. Poursuivis par Alpha Yaya, roi guinéen qui voulait les forcer à se convertir, ils se sont installés à Andiel, Iwol, Ethiwar… Celui-ci finit par admettre leur fuite et leur installation en dehors de son royaume, mais il vint y chercher les plus belles femmes Bédik et les ramena chez lui. Les Bédik ont ainsi pu conserver leurs traditions animistes de croyance en la force et la puissance de la nature.

Bien plus tard au XXe siècle ce sont les missionnaires catholiques français qui revinrent les convertir: les Bédik y furent plus sensibles qu’à l’Islam, alors que la région du Sénégal Oriental est majoritairement occupée par des Peuls musulmans.

Une chapelle est ainsi construite dans chaque village Bédik, et les le peuple affiche sans souci ses doubles religions: catholique et animiste! Ils portent des prénoms français, mais restent très attachés à leurs fêtes et leurs coutumes.

«L’initiation» des jeunes garçons à partir de 16 ans reste un moment majeur dans l’année, fort de traditions et de croyances. Il s’agit de 5 mois de mise à l’épreuve des adolescents pour marquer le passage à l’âge adulte. Ils restent une semaine dans la forêt, seuls, et doivent y apprendre à se nourrir et survivre, puis passent les semaines suivantes entre la brousse et le village, où ils sont logés dans «la case des initiés», sans pouvoir parler aux autres habitants ni à leurs familles, pendant deux mois.

Ils doivent alors développer un langage qui leur est propre. Ils sont «parrainés» par des compagnons adultes dont c’est la fonction. La fin de l’initiation marque un moment de fêtes et de danses traditionnelles réputées et impressionnantes dans les villages, où les jeunes initiés portent les masques africains stockés le reste de l’année dans des cachettes secrètes de la brousse.

Retour à la vie Bédik

Les enfants sont dissipés autour de nous, ça se dispute, ça se tape parfois violemment, ça joue, ça veut toucher Zoé, notre blondinette de quatre ans, dans tous les sens, elle commence à en avoir un peu peur…

Le village est très mignon, bien organisé, on nous montre la chapelle, au charme fou avec son toit de paille. Les femmes sont superbes quel que soit leur âge, certaines parées des bijoux traditionnels d’oreilles et de cheveux, d’autres ont l’épine de porc-épic plantée dans les narines, toutes sont habillées en couleurs splendides, certaines tissent le coton… c’est fascinant!

On dit au-revoir à Jean-Pierre, et nous reprenons la marche sur le plateau pour rejoindre maintenant Iwol; la chaleur est très forte, on marche pendant 1h30 accompagnés de Delphine, Bédik d’Andiel qui ramène à Iwol Mathias, trois ans, que sa maman a laissé la veille alors qu’il s’était endormi avant qu’elle ne rentre dans son village. Le petit s’est réveillé ce matin complètement perdu, a pleuré toute la matinée et a refusé de manger. Delphine s’est donc résolue à le ramener!

Mais tout se fait à pieds ici, aucune route n’existe, juste un petit chemin parmi les pierres sèches. Delphine parle bien le français, je fais un petit bout de chemin derrière avec elle, elle voit Zoé qui commence à peiner et souhaite alors la porter!

Les gens nous trouvent durs de ne pas porter nos enfants, alors que les leurs marchent déjà des kilomètres dès deux ans!

Elle charge alors Zoé sur son dos, selon le portage africain à l’écharpe, lui explique comment caler ses mains sous ses aisselles, et voilà la Zozo la plus heureuse du monde!

Je prends Mathias par la main et nous voilà repartis! Je lui demande quand même de la reposer au bout d’un kilomètre environ, on tient à ce que Zoé marche, elle a réussi à marcher pendant 16 kilomètres sur d’autres randonnées dans de précédents voyages; certes les températures n’étaient pas si hautes!

Nous sommes bientôt rejoints par deux femmes d’Iwol, bassines sur la tête et perche de bois de trois mètres sur l’épaule, qui servent à cueillir les pains de singe.

Delphine nous quitte alors, car ces femmes vont nous suivre jusqu’à Iwol et pourront ramener Mathias à sa maman. On traverse un haut plateau vallonné, les vues sur la vallée asséchée sont jolies, des petits potagers faits de buissons à cacahuètes parsèment le chemin.

Iwol est un village beaucoup plus gros, habités de 600 personnes!

C’est plus sale, moins charmant je dirais, on est à nouveau assaillis de femmes qui veulent vendre leur artisanat: colliers d’argile, petites calebasses décorées, épines de porc-épic. On achète, bien sûr, mais c’est difficile de faire plaisir à tout le monde…

Jean-Baptiste nous reçoit et nous fournit les mêmes explications sur l’histoire du peuple Bédik, composé de quatre grandes familles: les Camara, les Keita (Léontine est une Keita!), les Samoura et les Sadiakou. Seul un membre des Keita peut être chef.

Iwol possède un cours d’initiation, mais n’a pas d’école primaire. Peu d’enfants poursuivent, car l’école est trop lointaine à rejoindre à pieds quotidiennement.

Un papa fabrique des boules de bouse et d’herbes avec son fils pour construire des cases, les enfants nous suivent partout.

On observe les tam-tams du village, poétiquement posés contre le baobab de la place centrale, et on va voir «le vieux» qui veille tous les jours sur le fromager sacré…

Il est maintenant temps de redescendre vers Ibel, 45 minutes de descente sèche entre les pierres sous un soleil de plomb, la soif est insupportable, on va vite pour abréger les souffrances! Mais on arrive heureux au campement d’Ibel, où un excellent poulet maffé nous attend, c’est un délice!

Nous voilà repus de bonheur d’avoir pu vivre ces moments magiques avec les Bédik, un petit goût de «rendez-vous en terres inconnues» en fait tout ce dont je rêvais sur l’Afrique de l’Ouest depuis des années…

On rentre chez Léontine pour une petite pause, et on retourne entre adultes avec Guillaume sur les hauteurs de Bandafassi pour revoir les cases d’Ethiwar au coucher du soleil: la lumière est magnifique, sublimée par les flocons de kapok, issus des fromagers, qui tapissent l’herbe sèche tel un manteau de neige! Le petit village de huttes repose paisible, dans la lumière du couchant.

C’est une image que je n’oublierai jamais… On grimpe sur les rochers, puis on marche sur le plateau, on croise deux vieilles femmes qui s’attèlent à remonter de l’eau au puit pour le bétail, l’une d’elle n’est couverte que d’un pagne à la taille, et lave ses racines cueillies pour les médicaments traditionnels.

On rentre bien fatigués chez Léontine.

Le repas est toujours aussi bon, le sommeil va être apprécié, plein de clichés colorés dans la tête! Une prochaine fois, on poussera plus à l’Ouest pour aller découvrir une autre communauté: les Bassari

Nous voilà bel et bien ensorcelés par la magie du pays Bédik.

Quelques mots appris en Bédik

  • Bonjour (le matin): Ameké (si une seule personne), Amunké (si plusieurs personnes)
  • Bonjour (l’après-midi): Amiat (si une seule personne), Ameniak (si plusieurs personnes)
  • Bonsoir: Amimud (si une seule personne), Aminmud (si plusieurs personnes)
  • Ça va?: Yamodej?
  • Ça va!: Yamo!
  • Merci: Anelangal (signifie aussi «je suis content!»)
  • Vous êtes jolie: Untchel yaral

Pour rejoindre le pays Bédik

Traverser tout le Sénégal d’Ouest en Est en passant par Wassadou et le parc national du Niokolo Koba. Il faut compter environ 9 heures de route toute droite!

À propos de Chez Léontine

Léontine Keita vous accueille dans son campement artisanal «le Bédik»! Elle organise ensuite pour vous les marches dans les villages avec un guide Bédik. La cascade de Dindefelo est un autre site marquant de la région, où le programme Jane Goodal protège les chimpanzés de la forêt (visites possibles avec un guide à partir de 15 ans au départ du village de Dindefelo)!

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Crédit photo: Camille Chambellan

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